Porter les communs aux municipales, RFBC

Porter les communs aux municipales, RFBC

Au début de l’automne 2012, le “Réseau francophone autour des biens communs” est né, sous l’impulsion de l’association VECAM, du rassemblement de représentants ou membres d’associations issues des champs de la connaissance, du numérique, mais aussi du développement, de la solidarité internationale ou des droits culturels. Creuset du mouvement des communs en francophonie, en 2014, il sera à l’initiative d’une série de 16 propositions à l’attention des candidats, affirmant la dimension concrète des politiques des communs.

Cette fiche propose un regard sur l’histoire de la structuration de ce réseau, les acteurs qui le composent, son rôle et les enjeux politiques adressés par ses actions.

Né au début de l’automne 2012, le « Réseau francophone autour des biens communs » est une initiative de l’association VECAM1 qui concrétise un appel2 publié sur son site web.

L’association VECAM organise une réunion le 26 septembre 2012 qui rassemble une soixantaine de représentants ou membres d’associations issues des champs de la connaissance, du numérique, mais aussi du développement, de la solidarité internationale ou des droits culturels. Cette rencontre débouche aussitôt sur la création du « réseau francophone des biens communs » et sur l’invitation lancée à un large public à s’abonner à la liste de diffusion Echanges, laquelle agrégera bientôt plusieurs centaines de participants aussi divers que des membres d’associations dans le champ de l’éducation populaire ou du développement durable, des professeurs d’université, des architectes, des agents des collectivités territoriales ou encore travailleurs indépendants dans les secteurs du journalisme, du conseil, de la médiation sociale ou du numérique (développeurs, webmestres etc.). En 2013, Valérie Peugeot, présidente de l’association VECAM, insiste sur la nécessité de “fertilisations croisées” entre les acteurs qui se préoccupent de l’intérêt général (Source).

La dimension francophone du réseau prend racine dans l’activité autour des communs en Afrique subsaharienne et au Québec. En 2012, Ker Thiossane, un lieu culturel indépendant, et l’association Communautique, organisent conjointement l’École des communs à Dakar et Montréal ainsi que les Petits déjeuners en commun, qui seront parmi les premières activités de Remix the commons. Ces rencontres réunissent artistes, chercheurs et activistes comme Felwine Sarr et Achille Mbembe qui proposent de revisiter la notion de communs à partir d’une perspective africaine. Avec le troisième festival Afropixel dédié aux communs, Ker Thiossane connecte le RFBC avec l’univers artistique et culturel d’autres sphères linguistiques (TransEuropHalle).

La dimension francophone servira par la suite à tisser des liens avec des groupes de commoners de différents pays : en Belgique, le réseau constitué autour de Commons Josaphat, ou encore en Suisse avec les organisateurs des journées des alternatives urbaines. Elle facilitera la circulation de certaines expériences aujourd’hui emblématiques comme le Community Land Trust de Bruxelles. Ces connexions se montreront très utiles lors de l’organisation de la première Assemblée Européenne des Communs à Bruxelles en 2017.

Creuset du mouvement des communs

Le « réseau francophone des biens communs » est pendant 5 ans le creuset du mouvement des communs. Il sera notamment l’espace de fabrication des deux festivals Villes en communs (2013) et le Temps des communs (2015), et de la contribution francophone à la conférence internationale de Berlin sur l’économie des communs dont Remix the commons est co-organisatrice en 2013.

Le « réseau francophone des biens communs » est aussi un des espaces à partir duquel se tissent des liens entre des commoners de la sphère du numérique et les institutions publiques telles que le Conseil national du numérique (CNNum). Plusieurs initiatives collectives élargies verront le jour, à l’image de la déclaration en faveur des (Biens) Communs dans la loi numérique3 des 21 associations réunies en 2015. Dans le cadre de cette consultation, les revendications des groupes signataires sont diverses, mais tous se retrouvent autour de la notion de communs.

Par ailleurs, le « réseau francophone des biens communs » a participé à modeler les rapports des commoners à la puissance publique. Les multiples postures de soutien, de contribution, d’alerte, voire de boycotte, se reconfigurent au devant de chaque nouvelle question politique, en fonction des situations. C’est le cas en décembre 2016 où la France accueille à Paris le Sommet mondial du Partenariat pour un gouvernement ouvert (OGP). Onze organisations boycottent l’événement et pointent les contradictions du gouvernement4.

Enfin, le « réseau francophone des biens communs » a permis de tisser des liens entre les communs et l’économie sociale et solidaire (ESS). Dès 2012, les premières réflexions conjointes sur des relations entre la protection sociale et les communs seront la source d’échanges et de rapprochements, puis de travaux de recherche collective. L’association la Coop des communs sera constituée en 2016 pour “contribuer à l’éclosion de communs co-construits avec l’ESS et les pouvoirs publics”5. Les rapprochements s’opèrent aussi à travers l’activité scientifique universitaire : les communs deviennent progressivement l’un des axes majeur de recherche pour les scientifiques qui travaillent sur l’ESS.

16 propositions dans le cadre des élections municipales en 2014

À l’approche des élections municipales de 2014, le Réseau francophone autour des biens communs a fait connaître une série de 16 propositions dont les candidats étaient invités à s’emparer. Dans cette démarche, les auteurs proposent à la puissance publique 3 postures vis-à-vis des communs : la municipalité productrice de Communs, coproductrice de Communs avec les citoyens, soutien et facilitatrice des Communs. Dans chacune de ces postures, les propositions étaient illustrées par quelques exemples de politiques publiques réellement mises en place, montrant ainsi la possibilité d’activation immédiate de ces mesures. En tenant à distance les propositions purement utopiques, les acteurs du RFBC affirment la dimension concrète des politiques des communs.

La municipalité productrice de Communs

  • Des archives et des fonds de bibliothèques et de musées du domaine public numérisés librement réutilisables
  • Des contenus produits par la municipalité réutilisables librement pour nourrir les Communs volontaires
  • Une politique active d’ouverture de données sous licence partage à l’identique
  • Favoriser la circulation des informations par la mise à disposition d’accès internet ouverts dans les espaces et bâtiments publics

La municipalité coproductrice de communs avec les citoyens

  • Un espace public co-designé avec les habitants, pilier d’une gouvernance contributive
  • Une information sur la ville coproduite avec les habitants
  • Renforcer l’investissement citoyen face au changement climatique
  • Des jardins partagés au “guerilla gardening” : remettre la nature en Commun dans la ville
  • Des réseaux d’accès à internet collaboratifs et ouverts
  • Soutenir l’émergence citoyenne de monnaies complémentaires

La municipalité, soutien et facilitatrice des Communs

  • Faire le choix des logiciels libres
  • Utiliser et alimenter des fonds cartographiques ouverts
  • Mailler le territoire de tiers-lieux susceptibles d’accueillir et faire fructifier l’innovation sociale et le débat citoyen
  • Développer l’habitat participatif et groupé
  • Permaculture et circuits courts : nourrir les villes autrement
  • Soutenir les dispositifs participatifs dans la gestion des ressources naturelles

Des objectifs politiques6

Les objectifs du réseau sont énoncés dans le registre du « politique ». Les messages inauguraux qui transitent sur la liste Echanges durant les premiers mois de son fonctionnement font ainsi état de la volonté de « faire rentrer les communs dans le champ politique » afin qu’ils « diffusent dans la société » et qu’ils gagnent « la bataille des idées »7.

Pour les initiateurs du réseau, cet objectif est double. D’une part, il s’agit de donner forme à un « mouvement des biens communs francophones », lequel devra tout à la fois s’articuler avec « les mouvements internationaux » et « relier les myriades d’initiatives qui émergent » à l’échelle locale, dans les différents secteurs de la vie sociale (logiciels libres, bibliothèques, jardins partagés etc.). D’autre part, les fondateurs du « réseau francophone des biens communs » se donnent pour tâche d’explorer certains des « angles morts conceptuels », au premier rang desquels « la manière dont les biens communs s’articulent avec le marché et l’État », « les modèles politiques et économiques susceptibles d’assurer leur pérennité » et « la capacité à transférer les modèles pensés pour le local vers le global, de l’immatériel vers le matériel et vice versa ».

Dans un cas comme dans l’autre, le but est bien de donner aux communs suffisamment de « cohérence et de visibilité » pour parer les formes d’« instrumentalisation » ( de commons-washing) dont ils feraient d’ores et déjà l’objet dans l’arène politique, que ce soit au travers les initiatives elles-mêmes ou sur le plan du long terme. On s’inquiète en effet à ce moment là du sens de la référence aux communs des politiques publiques de désengagement telles que la « Big Society » du Royaume-Uni.

Mais les enjeux autour de l’appellation de la notion concerne aussi les commoners eux-même. Celle-ci fait l’objet d’une variation significative. Les participants se référent alternativement aux « communs », aux « biens communs » ou au « commun », au gré des évolutions et controverses de la recherche scientifique universitaire, mais aussi pour garder une certaine autonomie de leurs perceptions et conceptions politiques8. Comme l’explique Valérie Peugeot dans un entretien en 2014, « une des particularités du mouvement des biens communs est que l’on ne se situe pas dans un dogme. Il n’existe pas une vision unique de ce que sont les biens communs, et ce processus demande beaucoup plus d’efforts que d’appliquer un modèle tout fait. Le processus permanent de réinvention des communs est infiniment satisfaisant parce qu’il laisse l’espace à la diversité dans l’action, à la diversité des acteurs, et surtout, il évite de tendre vers des formes idéologiques totalisantes et donc excluantes.» (Source)

Au-delà de ce discours, les militants du mouvement des communs questionnent, souvent avec ambivalence, la place respectivement accordée au savoir issu de l’expérience dans l’agir en commun (commoning) et au savoir produit par la recherche scientifique. Dans ce sens, le titre de l’un des ouvrages fondateurs du mouvement des communs en France Pouvoir savoir9 est évocateur.

Ressources


  1. Association œuvrant dans le champ numérique et qui a été, depuis 2005, la cheville ouvrière de diverses initiatives citoyennes autour des biens communs en France. 

  2. https://vecam.org/Appel-pour-la-constitution-d-un-reseau-francophone-autour-des-Biens  

  3. Projet de Loi Numérique : soutenons les (Biens) Communs !, déclaration du 16 octobre 2015 signée par April, Conseil National du Logiciel Libre (CNLL), Couperin, Framasoft, La Paillasse, La Quadrature Du Net, OpenStreetMap France, Open Law, le Droit Ouvert, Open Knowledge Foundation France, Regards Citoyens, SavoirsCom1, Vecam, Veni, Vidi, Libri, Wikimedia France, Siliconcomte, Collectif Open Data Bourgogne – Franche Comté, Association ANIS, Entreprise sociale POP, Association Sequanux, Association Semeoz, Tiers lieu Casaco 

  4. La Quadrature du Net, Framasoft, Regards Citoyens, l’Association de promotion du logiciel libre (April), Savoirs Com1, la Ligue des droits de l’Homme dénoncent des choix « radicalement incompatibles » avec l’esprit du PGO et de nettes régressions sur les droits humains et les libertés. Sont en cause notamment le fichier TES et le principe de fichage, les consultations biaisées et le rejet du logiciel libre. Voir :

  5. https://coopdescommuns.org/ 

  6. On retrouvera ici des extraits de l’article : Léa Eynaud, Frédéric Sultan : Communs, outils numériques et diversité du « mouvement » Enquête sur la liste de diffusion Echanges, septembre 2019  

  7. Extraits d’un message envoyé sur la liste entre les 9 et 11 septembre 2012 

  8. Lire à ce sujet les travaux de Léa Eynaud (à paraître en 2020) 

  9. *Pouvoir Savoir : Le développement face aux biens communs de l’information et à la propriété intellectuelle, coordonné par Valérie Peugeot a été publié le 1 avril 2005 par C & F Éditions. Il accompagne la rencontre “Le développement face aux biens communs de l’information et à la propriété intellectuelle” organisée par l’Association Vecam à Paris. 

Fiche réalisée par

  • Sylvia Fredriksson
  • Frédéric Sultan

Publiée le