Eau en commun

Eau en commun

Problématique discrète de nos vies quotidiennes, la gestion de l’eau et de ses infrastructures sont des questions primordiales dont on ne pense plus systématiquement les très nombreuses implications pour nos territoires et nos modes de vies communes. Peu visibles, les réseaux de traitement et de distribution des eaux jouent un rôle structurant sur la politique locale et sont au cœur de très nombreux enjeux. Leur gouvernance constitue dès lors un cas particulièrement intéressant pour observer les modalités de gestion d’un commun à l’échelle municipale.

Si le modèle français repose historiquement sur un très fort recours aux délégations de ces services au secteur privé, on constate ces dernières années de nombreuses dynamiques de remunicipalisation visant un retour à une gestion publique de l’eau. Au delà des raisons techniques et économiques qui peuvent motiver ces choix, ces expériences amorcent de nouveaux espaces de participation et permettent d’entrevoir la question de l’eau comme un commun, enchevêtré sur différents territoires. Notre objectif est ici de nous appuyer sur diverses dynamiques territoriales de gestion de l’eau pour documenter les mécanismes, leviers et freins d’une politique de l’eau en commun.

Contexte

Ressource vitale, soin collectif

Malgré son caractère éminemment vital pour toutes formes de vies habitant nos territoires, les ressources en eau sont de plus en plus souvent menacées. Les activités humaines (agricoles et industrielles, expansion urbaine, etc…) font peser différents risques de pollutions qui mettent en danger la qualité sanitaire de l’eau. Par ailleurs, les effets du dérèglement climatique rendent de plus en plus de territoires vulnérables et craignent de graves pénuries d’eau (quand elles n’en subissent pas déjà les conséquences). S’assurer collectivement d’un accès à l’eau durable et de bonne qualité pour tou⋅te⋅s en va dès lors de notre responsabilité collective.

La gestion en communs, un combat contre la privatisation

Si l’eau représente un bien commun par excellence, sa gestion collective est restée pendant de nombreuses années une question relativement hors de portée des habitantes et habitants sur de nombreux territoires. En France, le modèle de délégation des services de traitement et de distribution à des prestataires privés à souvent conduit les acteurs politiques locaux à perdre en compétences, et en autonomie sur ces questions pourtant cruciales. On assiste néanmoins, depuis une vingtaine d’années, à un progressif mouvement de remunicipalisation des services de l’eau qui forment le terrain de nouveaux espaces d’expérimentation de la gestion de l’eau en communs. Ces 20 dernières années, des villes emblématiques ont choisi de résilier ou de ne pas reconduire les contrats de délégation des services d’eau et prendre en main leur gestion comme un service public. C’est le cas par exemple de Grenoble (en 2000) ou de Paris (en 2011). Ces batailles symboliques ont montré qu’il était possible pour les collectivités de reprendre la main sur les services d’eau. Elles ont ouvert la voie pour de nombreuses autres communes et collectivités. Dans la plupart des cas, la gestion des services de l’eau par des entités privées à conduit à diverses défaillances techniques et des hausses importantes des coûts d’accès à l’eau pour les citoyens et citoyennes.

Problématiques

Comment construire des mécanismes de distribution d’une eau saine, entretenus durablement et démocratiquement ?

L’eau, une “ressource” sous pressions

Usage massif de pesticides ; eutrophisation des cours d’eau, lacs et réservoirs ; déversements de produits polluants, fortes concentrations de nitrates, d’aluminium, de plomb, perturbateurs endocriniens, toxines, cyanobactéries… La liste des menaces qui pèsent sur les réserves naturelles d’eau dont nos territoires disposent est longue et la qualité de l’eau est un équilibre fragile et difficile à préserver.

Si la qualité de l’eau du robinet s’est globalement améliorée ces cinquante dernières années en France, on constate cependant un certain nombre de défaillances et l’ensemble des réserves d’eau n’en demeurent pas moins menacées. La prolifération des pesticides dans les activités agricoles est l’une des menaces principales, devant les rejets industriels.

Par ailleurs, les effets du dérèglement climatique viennent s’ajouter à ces risques de pénuries. Si de nombreuses personnes sont déjà approvisionnées par ravitaillement, les prévisions pour les prochaines décennies font craindre des risques de sécheresses beaucoup plus fréquentes et beaucoup plus sévères.

Un bien privatisé

Bien qu’il soit le modèle dominant en France et dans de nombreux pays, le système de délégation des services liés à l’eau à des entreprises privées amène de nombreuses problématiques. Hausse des coûts, mauvais entretien du réseau, manque de transparence, dissimulations des marges… Si on a longtemps cru que les multinationales du secteur étaient mieux qualifiées et plus performantes pour prendre en main le service, on constate aujourd’hui que la gestion publique est souvent plus efficace à bien des niveaux. Mais le processus de remunicipalisation est souvent long et complexe. Dans certaines villes (comme par exemple Rennes ou Nice) les entreprises délégataires étaient en charge du service depuis des décennies. La non-reconduction (voire dans certains cas la résiliation) du contrat de délégation peut mener à des situations conflictuelles pouvant aller jusqu’à des procès, comme ce fut le cas à Paris.

La reprise par la collectivité constitue dès lors un véritable défi sur le plan politique. L’organisation d’un service d’eau est un système complexe qui fait intervenir des compétences très nombreuses et parfois très spécifiques. Il mobilise par ailleurs des technologies spécifiques et un système d’information lourd. Tous ces facteurs constituent des freins assez conséquents à la mise en place de la reprise par le service public, qui n’est, bien souvent, pas facilitée par les multinationales jusqu’alors en charge de la gestion du service.

Éléments de mise en œuvre de politiques de l’eau en commun

Soustraire l’eau des mécanismes de marchés : construire la remunicipalisation en communs

La gestion d’un service d’eau et d’assainissement est une organisation complexe, mobilisant de nombreux acteurs et actrices ainsi qu’une grande diversités de domaines de compétences. Si opérer une remunicipalisation est un préalable incontournable pour envisager une gestion en commun, la transition d’un mode de gestion à un autre représente un véritable challenge sur le plan technique :

  • Un des éléments clés du processus de remunicipalisation des services d’eau repose dans un portage politique fort. Sa mise à l’agenda ne peut se faire que par l’intermédiaire d’élues et d’élus, qui s’engagent sur cette problématique, en mettant en jeu leur responsabilité (aussi bien juridique que politique). Les remunicipalisations emblématiques des services de l’eau en France ont pu se faire en grande partie grâce à un portage politique fort d’élues et d’élus (c’est notamment le cas de Grenoble ou Paris qui ont été une bataille politique très symbolique).
  • L’ensemble du personnel employé par le délégataire détient également un rôle décisif dans le processus de remunicipalisation. C’est eux qui ont la meilleure connaissance du réseau et de ses spécificités de fonctionnement. Ils détiennent par ailleurs des compétences pointues et spécifiques indispensables à la gestion quotidienne du service. S’assurer de leur reprise dans les meilleures conditions en dialoguant avec les différents syndicats doit pouvoir retenir une grande attention.
  • Le service repose en bonne partie sur un système d’information qui peut s’avérer lourd et complexe ; le transfert des données et systèmes d’informations associés à la gestion du service est un des enjeux prioritaires à ne pas sous-estimer dans le passage d’une délégation à un service public.
  • La construction de la gouvernance de la nouvelle entité est l’un des éléments clé. Le passage en régie est l’occasion de construire les mécanismes d’un service de gestion de l’eau géré plus démocratiquement que dans le cas d’une délégation. Impliquer des collectifs de citoyen⋅ne⋅s usager⋅e⋅s dès le début du processus et une fois le service en place est probablement l’enjeu central dans la bataille pour l’eau géré en communs.
  • Pour toutes ces raisons — qui sont par ailleurs loin d’être exhaustives — il est essentiel de pouvoir planifier et anticiper la remunicipalisation (au grand minimum deux ans à l’avance, si l’on tient note des différents expériences française de ces 20 dernières années).

Construire des mécanismes de solidarités durables autour de l’eau

Les différents flux et réserves d’eau qui traversent nos environnements et lieux de vie viennent inexorablement rattacher nos villes, villages, communes et campagnes à leurs territoires. Elles constituent un enjeu crucial de solidarité entre les différentes communautés habitant ces territoires (humaines comme non-humaines) dans la mesure où toutes dépendent directement de la disponibilité en eau et de sa qualité sanitaire. Les pressions que vont exercer les membres d’une communauté sur les réserves en eau vont immédiatement affecter les autres communautés qui dépendent et agissent elles aussi sur ces réserves.

Ces interdépendances invitent à penser les synergies et les solidarités entre les différents territoires, présents sur les mêmes bassins versants. C’est le cas par exemple avec le mécanisme des bassins versants solidaires, imaginés dans la commune de Forest au sud de Bruxelles, pour travailler les synergies et la participation de toutes et tous au sein d’une même “communauté hydrologique”. Par ailleurs, dans le contexte du dérèglement climatique, et les différents risques de pénuries et sécheresses que ce dernier fait peser sur bon nombre de territoires, pouvoir anticiper les futures tensions devient un enjeu crucial pour construire des solidarités et mettre en place des mesures dès à présent. C’est ce que cherche à faire l’initiative Sécheresse qui coordonne différents acteurs dans l’élaboration de prévisions de ces risques.

Jean-Claude Oliva est Directeur de la Coordination Eau Île-de-France. Il participe depuis le début des années 2000 au combat pour l’eau bien commun.

Entretien 1 avec Jean-Claude Oliva, par Thomas Germain et Frédéric Sultan :
Entretien 2 avec Jean-Claude Oliva, par Thomas Germain et Frédéric Sultan :
Entretien 3 avec Jean-Claude Oliva, par Thomas Germain et Frédéric Sultan :

Ressources

Pour aller plus loin sur les processus de remunicipalisation :

Outils et initiatives existantes

  • La Coordination eau-Ile-de-France est une association qui réunit citoyen⋅ne⋅s et associations autour de la ressource en eau en Île-de-France et sur tout le territoire français, sur tous les aspects : social, environnemental, économique, juridique, sanitaire, culturel… Son rôle est de renforcer le mouvement pour l’eau bien commun en Île-de-France et d’en faire un acteur incontournable pour toutes les décisions qui concernent l’avenir de ce bien vital.
  • Les États Généraux de l’Eau à Bruxelles ont vu le jour en 2017 à Bruxelles. Cette coordination met en place des recherche-actions citoyennes autour des mécanismes de gestion de l’eau sur les différents bassins versants autour de Bruxelles. C’est à Forest qu’à par exemple émergé le mécanisme du bassin versant solidaire (voir la fiche dédié au mécanisme des bassins versants solidaires).
  • La votation citoyenne à Bagnolet
  • L’initiative Sécheresse documente les risques de sécheresses et de pénuries dans le but de mieux pouvoir les anticiper.

Fiche réalisée par

  • David Bodinier
  • Xavier Coadic
  • Thomas Germain
  • Frédéric Sultan
  • Marin Schaffner

Publiée le